Quand le SOH s'inspire d'Evangelii Gaudium

Extraits de l'exhortation apostolique "Evangelii Gaudium" du Pape François du 24 novembre 2013

EXHORTATION APOSTOLIQUE
EVANGELII GAUDIUM
DU PAPE  FRANÇOIS
AUX ÉVÊQUES AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES
AUX PERSONNES CONSACRÉES
ET À TOUS LES FIDÈLES LAÏCS
SUR L'ANNONCE DE L'ÉVANGILE DANS LE MONDE D'AUJOURD'HUI

 

2. L’homélie

135. Considérons maintenant la prédication dans la liturgie, qui demande une sérieuse évaluation de la part des pasteurs. Je m’attarderai en particulier, et avec un certain soin, à l’homélie et à sa préparation, car les réclamations à l’égard de ce grand ministère sont nombreuses, et nous ne pouvons pas faire la sourde oreille. L’homélie est la pierre de touche pour évaluer la proximité et la capacité de rencontre d’un pasteur avec son peuple. De fait, nous savons que les fidèles lui donnent beaucoup d’importance ; et ceux-ci, comme les ministres ordonnés eux-mêmes, souffrent souvent, les uns d’écouter, les autres de prêcher. Il est triste qu’il en soit ainsi. L’homélie peut être vraiment une intense et heureuse expérience de l’Esprit, une rencontre réconfortante avec la Parole, une source constante de renouveau et de croissance.

136. Renouvelons notre confiance dans la prédication, qui se fonde sur la conviction que c’est Dieu qui veut rejoindre les autres à travers le prédicateur, et qu’il déploie sa puissance à travers la parole humaine. Saint Paul parle avec force de la nécessité de prêcher, parce que le Seigneur a aussi voulu rejoindre les autres par notre parole (cf. Rm 10, 14-17). Par la parole, notre Seigneur s’est conquis le cœur des gens. Ils venaient l’écouter de partout (cf. Mc 1, 45). Ils restaient émerveillés, “buvant” ses enseignements (cf. Mc 6, 2). Ils sentaient qu’il leur parlait comme quelqu’un qui a autorité (cf. Mc 1, 27). Avec la parole, les Apôtres, qu’il a institués « pour être ses compagnons et les envoyer prêcher » (Mc 3, 14), attiraient tous les peuples dans le sein de l’Église (cf. Mc 16, 15.20).

Le contexte liturgique

137. Il faut se rappeler maintenant que « la proclamation liturgique de la Parole de Dieu, surtout dans le cadre de l’assemblée eucharistique, est moins un moment de méditation et de catéchèse que le dialogue de Dieu avec son peuple, dialogue où sont proclamées les merveilles du salut et continuellement proposées les exigences de l’Alliance ».[112] L’homélie a une valeur spéciale qui provient de son contexte eucharistique, qui dépasse toutes les catéchèses parce qu’elle est le moment le plus élevé du dialogue entre Dieu et son peuple, avant la communion sacramentelle. L’homélie reprend ce dialogue qui est déjà engagé entre le Seigneur et son peuple. Celui qui prêche doit discerner le cœur de sa communauté pour chercher où est vivant et ardent le désir de Dieu, et aussi où ce dialogue, qui était amoureux, a été étouffé ou n’a pas pu donner de fruit.

138. L’homélie ne peut pas être un spectacle de divertissement, elle ne répond pas à la logique des moyens médiatiques, mais elle doit donner ferveur et sens à la célébration. C’est un genre particulier, puisqu’il s’agit d’une prédication dans le cadre d’une célébration liturgique ; par conséquent elle doit être brève et éviter de ressembler à une conférence ou à un cours. Le prédicateur peut être capable de maintenir l’intérêt des gens durant une heure, mais alors sa parole devient plus importante que la célébration de la foi. Si l’homélie se prolonge trop, elle nuit à deux caractéristiques de la célébration liturgique : l’harmonie entre ses parties et son rythme. Quand la prédication se réalise dans le contexte liturgique, elle s’intègre comme une partie de l’offrande qui est remise au Père et comme médiation de la grâce que le Christ répand dans la célébration. Ce contexte même exige que la prédication oriente l’assemblée, et aussi le prédicateur, vers une communion avec le Christ dans l’Eucharistie qui transforme la vie. Ceci demande que la parole du prédicateur ne prenne pas une place excessive, de manière à ce que le Seigneur brille davantage que le ministre.

La conversation d’une mère

139. Nous avons dit que le Peuple de Dieu, par l’action constante de l’Esprit en lui, s’évangélise continuellement lui-même. Qu’implique cette conviction pour le prédicateur ? Elle nous rappelle que l’Église est mère et qu’elle prêche au peuple comme une mère parle à son enfant, sachant que l’enfant a confiance que tout ce qu’elle lui enseigne sera pour son bien parce qu’il se sait aimé. De plus, la mère sait reconnaître tout ce que Dieu a semé chez son enfant, elle écoute ses préoccupations et apprend de lui. L’esprit d’amour qui règne dans une famille guide autant la mère que l’enfant dans leur dialogue, où l’on enseigne et apprend, où l’on se corrige et apprécie les bonnes choses. Il en est ainsi également dans l’homélie. L’Esprit, qui a inspiré les Évangiles et qui agit dans le peuple de Dieu, inspire aussi comment on doit écouter la foi du peuple, et comment on doit prêcher à chaque Eucharistie. La prédication chrétienne, par conséquent, trouve au cœur de la culture du peuple une source d’eau vive, tant pour savoir ce qu’elle doit dire que pour trouver la manière appropriée de le dire. De même qu’on aime que l’on nous parle dans notre langue maternelle, de même aussi, dans la foi, nous aimons que l’on nous parle avec les termes de la “culture maternelle”, avec les termes du dialecte maternel (cf. 2M, 21.27), et le cœur se dispose à mieux écouter. Cette langue est un ton qui transmet courage, souffle, force et impulsion.

140. On doit favoriser et cultiver ce milieu maternel et ecclésial dans lequel se développe le dialogue du Seigneur avec son peuple, moyennant la proximité de cœur du prédicateur, la chaleur de son ton de voix, la douceur du style de ses phrases, la joie de ses gestes. Même dans les cas où l’homélie est un peu ennuyeuse, si cet esprit maternel et ecclésial est perceptible, elle sera toujours féconde, comme les conseils ennuyeux d’une mère donnent du fruit avec le temps dans le cœur de ses enfants.

141. On reste admiratif des moyens qu’emploie le Seigneur pour dialoguer avec son peuple, pour révéler son mystère à tous, pour captiver les gens simples avec des enseignements si élevés et si exigeants. Je crois que le secret se cache dans ce regard de Jésus vers le peuple, au-delà de ses faiblesses et de ses chutes : « Sois sans crainte petit troupeau, car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume » (Lc 12, 32) ; Jésus prêche dans cet esprit. Plein de joie dans l’Esprit, il bénit le Père qui attire les petits : « Je te bénis Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Lc 10, 21). Le Seigneur se complaît vraiment à dialoguer avec son peuple, et le prédicateur doit faire sentir aux gens ce plaisir du Seigneur.

Des paroles qui font brûler les cœurs

142. Un dialogue est beaucoup plus que la communication d’une vérité. Il se réalise par le goût de parler et par le bien concret qui se communique entre ceux qui s’aiment au moyen des paroles. C’est un bien qui ne consiste pas en des choses, mais dans les personnes elles-mêmes qui se donnent mutuellement dans le dialogue. La prédication purement moraliste ou endoctrinante, comme aussi celle qui se transforme en un cours d’exégèse, réduit cette communication entre les cœurs qui se fait dans l’homélie et qui doit avoir un caractère quasi sacramentel : « La foi naît de ce qu’on entend dire et ce qu’on entend dire vient de la parole du Christ » (Rm 10, 17). Dans l’homélie, la vérité accompagne la beauté et le bien. Pour que la beauté des images que le Seigneur utilise pour stimuler à la pratique du bien se communique, il ne doit pas s’agir de vérités abstraites ou de froids syllogismes. La mémoire du peuple fidèle, comme celle de Marie, doit rester débordante des merveilles de Dieu. Son cœur, ouvert à l’espérance d’une pratique joyeuse et possible de l’amour qui lui a été annoncé, sent que chaque parole de l’Écriture est avant tout un don, avant d’être une exigence.

143. Le défi d’une prédication inculturée consiste à transmettre la synthèse du message évangélique, et non des idées ou des valeurs décousues. Là où se trouve ta synthèse, là se trouve ton cœur. La différence entre faire la lumière sur la synthèse et faire la lumière sur des idées décousues entre elles est la même qu’il y a entre l’ennui et l’ardeur du cœur. Le prédicateur a la très belle et difficile mission d’unir les cœurs qui s’aiment : celui du Seigneur et ceux de son peuple. Le dialogue entre Dieu et son peuple renforce encore plus l’Alliance qu’il y a entre eux et resserre le lien de la charité. Durant le temps de l’homélie, les cœurs des croyants font silence et Le laissent leur parler. Le Seigneur et son peuple se parlent de mille manières directement, sans intermédiaires. Cependant, dans l’homélie ils veulent que quelqu’un serve d’instrument et exprime leurs sentiments, de manière à ce qu’ensuite, chacun puisse choisir comment continuer sa conversation. La parole est essentiellement médiatrice et demande non seulement les deux qui dialoguent, mais aussi un prédicateur qui la repropose comme telle, convaincu que « ce n’est pas nous que nous proclamons, mais le Christ Jésus, Seigneur ; nous ne sommes, nous, que vos serviteurs, à cause de Jésus » (2 Co 4, 5).

144. Parler avec le cœur implique de le tenir, non seulement ardent, mais aussi éclairé par l’intégrité de la Révélation et par le chemin que cette Parole a parcouru dans le cœur de l’Église et de notre peuple fidèle au cours de l’histoire. L’identité chrétienne, qui est l’étreinte baptismale que nous a donnée le Père quand nous étions petits, nous fait aspirer ardemment, comme des enfants prodigues – et préférés en Marie – à l’autre étreinte, celle du Père miséricordieux qui nous attend dans la gloire. Faire en sorte que notre peuple se sente comme entre ces deux étreintes est la tâche difficile mais belle de celui qui prêche l’Évangile.

3. La préparation de la prédication

145. La préparation de la prédication est une tâche si importante qu’il convient d’y consacrer un temps prolongé d’étude, de prière, de réflexion et de créativité pastorale. Avec beaucoup d’affection, je désire m’attarder à proposer un itinéraire de préparation de l’homélie. Ce sont des indications qui pour certains pourront paraître évidentes, mais je considère opportun de les suggérer pour rappeler la nécessité de consacrer le temps nécessaire à ce précieux ministère. Certains curés soutiennent souvent que cela n’est pas possible en raison de la multitude des tâches qu’ils doivent remplir ; cependant, j’ose demander que chaque semaine, un temps personnel et communautaire suffisamment prolongé soit consacré à cette tâche, même s’il faut donner moins de temps à d’autres engagements, même importants. La confiance en l’Esprit Saint qui agit dans la prédication n’est pas purement passive, mais active et créative. Elle implique de s’offrir comme instrument (cf. Rm 12, 1), avec toutes ses capacités, pour qu’elles puissent être utilisées par Dieu. Un prédicateur qui ne se prépare pas n’est pas “spirituel”, il est malhonnête et irresponsable envers les dons qu’il a reçus.

Le culte de la vérité

146. Le premier pas, après avoir invoqué l’Esprit Saint, consiste à prêter toute l’attention au texte biblique, qui doit être le fondement de la prédication. Quand on s’attarde à chercher à comprendre quel est le message d’un texte, on exerce le « culte de la vérité ».[113] C’est l’humilité du cœur qui reconnaît que la Parole nous transcende toujours, que nous n’en sommes « ni les maîtres, ni les propriétaires, mais les dépositaires, les hérauts, les serviteurs».[114] Cette attitude de vénération humble et émerveillée de la Parole s’exprime en prenant du temps pour l’étudier avec la plus grande attention et avec une sainte crainte de la manipuler. Pour pouvoir interpréter un texte biblique, il faut de la patience, abandonner toute inquiétude et y consacrer temps, intérêt et dévouement gratuit. Il faut laisser de côté toute préoccupation qui nous assaille pour entrer dans un autre domaine d’attention sereine. Ce n’est pas la peine de se consacrer à lire un texte biblique si on veut obtenir des résultats rapides, faciles ou immédiats. C’est pourquoi, la préparation de la prédication demande de l’amour. On consacre un temps gratuit et sans hâte uniquement aux choses et aux personnes qu’on aime ; et ici il s’agit d’aimer Dieu qui a voulu nous parler. À partir de cet amour, on peut consacrer tout le temps nécessaire, avec l’attitude du disciple : « Parle Seigneur, ton serviteur écoute » (1S 3, 9).

147. Avant tout il convient d’être sûr de comprendre convenablement la signification des paroles que nous lisons. Je veux insister sur quelque chose qui semble évident mais qui n’est pas toujours pris en compte : le texte biblique que nous étudions a deux ou trois mille ans, son langage est très différent de celui que nous utilisons aujourd’hui. Bien qu’il nous semble comprendre les paroles qui sont traduites dans notre langue, cela ne signifie pas que nous comprenions correctement ce qu’a voulu exprimer l’écrivain sacré. Les différents moyens qu’offre l’analyse littéraire sont connus : prêter attention aux mots qui sont répétés ou mis en relief, reconnaître la structure et le dynamisme propre d’un texte, considérer la place qu’occupent les personnages, etc. Mais le but n’est pas de comprendre tous les petits détails d’un texte, le plus important est de découvrir quel est le message principal, celui qui structure le texte et lui donne unité. Si le prédicateur ne fait pas cet effort, il est possible que même sa prédication n’ait ni unité ni ordre ; son discours sera seulement une somme d’idées variées sans lien les unes avec les autres qui ne réussiront pas à mobiliser les auditeurs. Le message central est celui que l’auteur a voulu transmettre en premier lieu, ce qui implique non seulement de reconnaître une idée, mais aussi l’effet que cet auteur a voulu produire. Si un texte a été écrit pour consoler, il ne devrait pas être utilisé pour corriger des erreurs ; s’il a été écrit pour exhorter, il ne devrait pas être utilisé pour instruire ; s’il a été écrit pour enseigner quelque chose sur Dieu, il ne devrait pas être utilisé pour expliquer différentes idées théologiques ; s’il a été écrit pour motiver la louange ou la tâche missionnaire, ne l’utilisons pas pour informer des dernières nouvelles.

148. Certainement, pour comprendre de façon adéquate le sens du message central d’un texte, il est nécessaire de le mettre en connexion avec l’enseignement de toute la Bible, transmise par l’Église. C’est là un principe important de l’interprétation de la Bible, qui tient compte du fait que l’Esprit Saint n’a pas inspiré seulement une partie, mais la Bible tout entière, et que pour certaines questions, le peuple a grandi dans sa compréhension de la volonté de Dieu à partir de l’expérience vécue. De cette façon, on évite les interprétations fausses ou partielles, qui contredisent d’autres enseignements de la même Écriture. Mais cela ne signifie pas affaiblir l’accent propre et spécifique du texte sur lequel on doit prêcher. Un des défauts d’une prédication lassante et inefficace est justement celui de ne pas être en mesure de transmettre la force propre du texte proclamé.

La personnalisation de la Parole

149. Le prédicateur « doit tout d’abord acquérir une grande familiarité personnelle avec la Parole de Dieu. Il ne lui suffit pas d’en connaître l’aspect linguistique ou exégétique, ce qui est cependant nécessaire. Il lui faut accueillir la Parole avec un cœur docile et priant, pour qu’elle pénètre à fond dans ses pensées et ses sentiments et engendre en lui un esprit nouveau »[115]. Cela nous fait du bien de renouveler chaque jour, chaque dimanche, notre ferveur en préparant l’homélie, et en vérifiant si grandit en nous l’amour de la Parole que nous prêchons. Il ne faut pas oublier qu’« en particulier, la sainteté plus ou moins réelle du ministre a une véritable influence sur sa façon d’annoncer la Parole ».[116] Comme l’affirme saint Paul, « nous prêchons, cherchant à plaire non pas aux hommes mais à Dieu qui éprouve nos cœurs » (1 Th 2, 4). Si nous avons les premiers ce vif désir d’écouter la Parole que nous devons prêcher, elle se transmettra d’une façon ou d’une autre au Peuple de Dieu : « C’est du trop-plein du cœur que la bouche parle » (Mt 12, 34). Les lectures du dimanche résonneront dans toute leur splendeur dans le cœur du peuple, si elles ont ainsi résonné en premier lieu dans le cœur du pasteur.

150. Jésus s’irritait devant ces supposés maîtres, très exigeants pour les autres, qui enseignaient la Parole de Dieu, mais ne se laissaient pas éclairer par elle : « Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt » (Mt 23, 4). L’Apôtre Jacques exhortait : « Ne soyez pas nombreux, mes frères, à devenir docteurs. Vous le savez, nous n’en recevrons qu’un jugement plus sévère » (Jc 3, 1). Quiconque veut prêcher, doit d’abord être disposé à se laisser toucher par la Parole et à la faire devenir chair dans son existence concrète. De cette façon, la prédication consistera dans cette activité si intense et féconde qui est de « transmettre aux autres ce qu’on a contemplé »[117]. Pour tout cela, avant de préparer concrètement ce que l’on dira dans la prédication, on doit accepter d’être blessé d’abord par cette Parole qui blessera les autres, parce que c’est une Parole vivante et efficace, qui, comme un glaive « pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, et peut juger les sentiments et les pensées du cœur » (He 4, 12). Cela revêt une importance pastorale. À notre époque aussi, les gens préfèrent écouter les témoins : « ils ont soif d’authenticité […] Le monde réclame des évangélisateurs qui lui parlent d’un Dieu qu’ils connaissent et fréquentent comme s’ils voyaient l’invisible ».[118]

151. Il ne nous est pas demandé d’être immaculés, mais plutôt que nous soyons toujours en croissance, que nous vivions le désir profond de progresser sur la voie de l’Évangile, et que nous ne baissions pas les bras. Il est indispensable que le prédicateur ait la certitude que Dieu l’aime, que Jésus Christ l’a sauvé, que son amour a toujours le dernier mot. Devant tant de beauté, il sentira de nombreuses fois que sa vie ne lui rend pas pleinement gloire et il désirera sincèrement mieux répondre à un amour si grand. Mais s’il ne s’arrête pas pour écouter la Parole avec une ouverture sincère, s’il ne fait pas en sorte qu’elle touche sa vie, qu’elle le remette en question, qu’elle l’exhorte, qu’elle le secoue, s’il ne consacre pas du temps pour prier avec la Parole, alors, il sera un faux prophète, un escroc ou un charlatan sans consistance. En tous cas, à partir de la reconnaissance de sa pauvreté et avec le désir de s’engager davantage, il pourra toujours donner Jésus Christ, disant comme Pierre : « De l’argent ou de l’or, je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne » (Ac 3, 6). Le Seigneur veut nous utiliser comme des êtres vivants, libres et créatifs, qui se laissent pénétrer par sa Parole avant de la transmettre ; son message doit passer vraiment à travers le prédicateur, non seulement à travers la raison, mais en prenant possession de tout son être. L’Esprit Saint, qui a inspiré la Parole, est celui qui « aujourd’hui comme aux débuts de l’Église, agit en chaque évangélisateur qui se laisse posséder et conduire par lui, et met dans sa bouche les mots que seul il ne pourrait trouver».[119]

La lecture spirituelle

152. Il existe une modalité concrète pour écouter ce que le Seigneur veut nous dire dans sa Parole et pour nous laisser transformer par son Esprit. Et c’est ce que nous appelons ‘lectio divina’. Elle consiste dans la lecture de la Parole de Dieu à l’intérieur d’un moment de prière pour lui permettre de nous illuminer et de nous renouveler. Cette lecture orante de la Bible n’est pas séparée de l’étude que le prédicateur accomplit pour identifier le message central du texte ; au contraire, il doit partir de là, pour chercher à découvrir ce que dit ce message lui-même à sa vie. La lecture spirituelle d’un texte doit partir de sa signification littérale. Autrement, on fera facilement dire au texte ce qui convient, ce qui sert pour confirmer ses propres décisions, ce qui s’adapte à ses propres schémas mentaux. Cela serait, en définitive, utiliser quelque chose de sacré à son propre avantage et transférer cette confusion au peuple de Dieu. Il ne faut jamais oublier que parfois, « Satan lui-même se déguise bien en ange de lumière » (2 Co 11, 14).

153. En présence de Dieu, dans une lecture calme du texte, il est bien de se demander par exemple : « Seigneur, qu’est-ce que ce texte me dit à moi ? Qu’est-ce que tu veux changer dans ma vie avec ce message ? Qu’est-ce qui m’ennuie dans ce texte ? Pourquoi cela ne m’intéresse-t-il pas ? » ou : « Qu’est-ce qui me plaît, qu’est-ce qui me stimule dans cette Parole ? Qu’est-ce qui m’attire ? Pourquoi est-ce que cela m’attire ? ». Quand on cherche à écouter le Seigneur, il est normal d’avoir des tentations. Une d’elles est simplement de se sentir gêné ou oppressé, et de se fermer sur soi-même ; une autre tentation très commune est de commencer à penser à ce que le texte dit aux autres, pour éviter de l’appliquer à sa propre vie. Il arrive aussi qu’on commence à chercher des excuses qui permettent d’affaiblir le message spécifique d’un texte. D’autres fois, on retient que Dieu exige de nous une décision trop importante, que nous ne sommes pas encore en mesure de prendre. Cela porte beaucoup de personnes à perdre la joie de la rencontre avec la Parole, mais cela voudrait dire oublier que personne n’est plus patient que Dieu le Père, que personne ne comprend et ne sait attendre comme lui. Il invite toujours à faire un pas de plus, mais il n’exige pas une réponse complète si nous n’avons pas encore parcouru le chemin qui la rend possible. Il désire simplement que nous regardions avec sincérité notre existence et que nous la présentions sans feinte à ses yeux, que nous soyons disposés à continuer de grandir, et que nous lui demandions ce que nous ne réussissons pas encore à obtenir.

À l’écoute du peuple

154. Le prédicateur doit aussi se mettre à l’écoute du peuple, pour découvrir ce que les fidèles ont besoin de s’entendre dire. Un prédicateur est un contemplatif de la Parole et aussi un contemplatif du peuple. De cette façon, il découvre « les aspirations, les richesses et limites, les façons de prier, d’aimer, de considérer la vie et le monde qui marquent tel ou tel ensemble humain », prenant en considération « le peuple concret avec ses signes et ses symboles et répondant aux questions qu’il pose ».[120] Il s’agit de relier le message du texte biblique à une situation humaine, à quelque chose qu’ils vivent, à une expérience qui a besoin de la lumière de la Parole. Cette préoccupation ne répond pas à une attitude opportuniste ou diplomatique, mais elle est profondément religieuse et pastorale. Au fond, il y a une « sensibilité spirituelle pour lire dans les événements le message de Dieu »[121] et cela est beaucoup plus que trouver quelque chose d’intéressant à dire. Ce que l’on cherche à découvrir est « ce que le Seigneur a à dire dans cette circonstance ».[122] Donc la préparation de la prédication se transforme en un exercice de discernement évangélique, dans lequel on cherche à reconnaître – à la lumière de l’Esprit – « un appel que Dieu fait retentir dans la situation historique elle-même ; aussi, en elle et par elle, Dieu appelle le croyant ».[123]

155. Dans cette recherche, il est possible de recourir simplement à certaines expériences humaines fréquentes, comme la joie d’une rencontre nouvelle, les déceptions, la peur de la solitude, la compassion pour la douleur d’autrui, l’insécurité devant l’avenir, la préoccupation pour une personne chère, etc. ; il faut cependant avoir une sensibilité plus grande pour reconnaître ce qui intéresse réellement leur vie. Rappelons qu’on n’a jamais besoin de répondre à des questions que personne ne se pose ; il n’est pas non plus opportun d’offrir des chroniques de l’actualité pour susciter de l’intérêt : pour cela il y a déjà les programmes télévisés. Il est quand même possible de partir d’un fait pour que la Parole puisse résonner avec force dans son invitation à la conversion, à l’adoration, à des attitudes concrètes de fraternité et de service, etc., puisque certaines personnes aiment parfois entendre dans la prédication des commentaires sur la réalité, mais sans pour cela se laisser interpeller personnellement.

Instruments pédagogiques

156. Certains croient pouvoir être de bons prédicateurs parce qu’ils savent ce qu’ils doivent dire, mais ils négligent le comment, la manière concrète de développer une prédication. Ils se fâchent quand les autres ne les écoutent pas ou ne les apprécient pas, mais peut-être ne se sont-ils pas occupés de chercher la manière adéquate de présenter le message. Rappelons-nous que « l’importance évidente du contenu de l’évangélisation ne doit pas cacher l’importance des voies et des moyens ».[124] La préoccupation pour les modalités de la prédication est elle aussi une attitude profondément spirituelle. Elle signifie répondre à l’amour de Dieu, en se dévouant avec toutes nos capacités et notre créativité à la mission qu’il nous confie ; mais c’est aussi un exercice d’amour délicat pour le prochain, parce que nous ne voulons pas offrir aux autres quelque chose de mauvaise qualité. Dans la Bible, par exemple, nous trouvons la recommandation de préparer la prédication pour lui assurer une mesure correcte : « Résume ton discours. Dis beaucoup en peu de mots » (Si 32, 8).

157. Seulement à titre d’exemples, rappelons quelques moyens pratiques qui peuvent enrichir une prédication et la rendre plus attirante. Un des efforts les plus nécessaires est d’apprendre à utiliser des images dans la prédication, c’est-à-dire à parler avec des images. Parfois, on utilise des exemples pour rendre plus compréhensible quelque chose qu’on souhaite expliquer, mais ces exemples s’adressent souvent seulement au raisonnement ; les images, au contraire, aident à apprécier et à accepter le message qu’on veut transmettre. Une image attrayante fait que le message est ressenti comme quelque chose de familier, de proche, de possible, en lien avec sa propre vie. Une image adéquate peut porter à goûter le message que l’on désire transmettre, réveille un désir et motive la volonté dans la direction de l’Évangile. Une bonne homélie, comme me disait un vieux maître, doit contenir “une idée, un sentiment, une image”.

158. Paul VI disait déjà que les fidèles « attendent beaucoup de cette prédication et de fait en reçoivent beaucoup de fruits, pourvu qu’elle soit simple, claire, directe, adaptée ».[125] La simplicité a à voir avec le langage utilisé. Il doit être le langage que les destinataires comprennent pour ne pas courir le risque de parler dans le vide. Il arrive fréquemment que les prédicateurs se servent de paroles qu’ils ont apprises durant leurs études et dans des milieux déterminés, mais qui ne font pas partie du langage commun des personnes qui les écoutent. Ce sont des paroles propres à la théologie ou à la catéchèse, dont la signification n’est pas compréhensible pour la majorité des chrétiens. Le plus grand risque pour un prédicateur est de s’habituer à son propre langage et de penser que tous les autres l’utilisent et le comprennent spontanément. Si l’on veut s’adapter au langage des autres pour pouvoir les atteindre avec la Parole, on doit écouter beaucoup, il faut partager la vie des gens et y prêter volontiers attention. La simplicité et la clarté sont deux choses différentes. Le langage peut être très simple, mais la prédication peut être peu claire. Elle peut devenir incompréhensible à cause de son désordre, par manque de logique, ou parce qu’elle traite en même temps différents thèmes. Par conséquent une autre tâche nécessaire est de faire en sorte que la prédication ait une unité thématique, un ordre clair et des liens entre les phrases, pour que les personnes puissent suivre facilement le prédicateur et recueillir la logique de ce qu’il dit.

159. Une autre caractéristique est le langage positif. Il ne dit pas tant ce qu’il ne faut pas faire, mais il propose plutôt ce que nous pouvons faire mieux. Dans tous les cas, s’il indique quelque chose de négatif, il cherche toujours à montrer aussi une valeur positive qui attire, pour ne pas s’arrêter à la lamentation, à la critique ou au remords. En outre, une prédication positive offre toujours l’espérance, oriente vers l’avenir, ne nous laisse pas prisonniers de la négativité. Quelle bonne chose que prêtres, diacres et laïcs se réunissent périodiquement pour trouver ensemble les instruments qui rendent la prédication plus attrayante !

4. Une évangélisation pour l’approfondissement du kerygme

160. Le mandat missionnaire du Seigneur comprend l’appel à la croissance de la foi quand il indique : « leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 20). Ainsi apparaît clairement que la première annonce doit donner lieu aussi à un chemin de formation et de maturation. L’évangélisation cherche aussi la croissance, ce qui implique de prendre très au sérieux chaque personne et le projet que le Seigneur a sur elle. Chaque être humain a toujours plus besoin du Christ, et l’évangélisation ne devrait pas accepter que quelqu’un se contente de peu, mais qu’il puisse dire pleinement : « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).

161. Il ne serait pas correct d’interpréter cet appel à la croissance exclusivement ou prioritairement comme une formation doctrinale. Il s’agit d’« observer » ce que le Seigneur nous a indiqué, comme réponse à son amour, d’où ressort, avec toutes les vertus, ce commandement nouveau qui est le premier, le plus grand, celui qui nous identifie le mieux comme disciples : « Voici quel est mon commandement : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12). Il est évident que, lorsque les auteurs du Nouveau Testament veulent réduire à une dernière synthèse, au plus essentiel, le message moral chrétien, ils nous présentent l’incontournable exigence de l’amour du prochain : « Celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi… La charité est donc la loi dans sa plénitude » (Rm 13, 8.10). Ainsi pour saint Paul, le précepte de l’amour ne résume pas seulement la loi, mais il est le cœur et la raison de l’être :« Une seule formule contient toute la Loi en sa plénitude : Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ga 5, 14). Et il présente à ses communautés la vie chrétienne comme un chemin de croissance dans l’amour : « Que le Seigneur vous fasse croître et abonder dans l’amour que vous avez les uns envers les autres » (1 Th 3, 12). Aussi saint Jacques exhorte les chrétiens à accomplir « la Loi royale suivant l’Écriture : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, alors vous faites bien » (2, 8), pour n’enfreindre aucun précepte.

162. D’autre part, ce chemin de réponse et de croissance est toujours précédé du don, parce que cette autre demande du Seigneur le précède : « les baptisant au nom… » (Mt 28,19). L’adoption en tant que fils que le Père offre gratuitement et l’initiative du don de sa grâce (cf. Ep 2, 8-9 ; 1 Co 4, 7) sont la condition de la possibilité de cette sanctification permanente qui plaît à Dieu et lui rend gloire. Il s’agit de se laisser transformer dans le Christ par une vie progressive « selon l’Esprit » (Rm 8, 5).

Une catéchèse kérygmatique et mystagogique

163. L’éducation et la catéchèse sont au service de cette croissance. Nous avons déjà à notre disposition différents textes magistériels et matériaux sur la catéchèse offerts par le Saint-Siège et par les différents Épiscopats. Je rappelle l’Exhortation apostolique Catechesi tradendae (1979), le Directoire général pour la catéchèse (1997) et d’autres documents dont il n’est pas nécessaire de répéter ici le contenu actuel. Je voudrais m’arrêter seulement sur certaines considérations qu’il me semble opportun de souligner.

164. Nous avons redécouvert que, dans la catéchèse aussi, la première annonce ou “kérygme” a un rôle fondamental, qui doit être au centre de l’activité évangélisatrice et de tout objectif de renouveau ecclésial. Le kérygme est trinitaire. C’est le feu de l’Esprit qui se donne sous forme de langues et nous fait croire en Jésus Christ, qui par sa mort et sa résurrection nous révèle et nous communique l’infinie miséricorde du Père. Sur la bouche du catéchiste revient toujours la première annonce : “Jésus Christ t’aime, il a donné sa vie pour te sauver, et maintenant il est vivant à tes côtés chaque jour pour t’éclairer, pour te fortifier, pour te libérer”. Quand nous disons que cette annonce est “la première”, cela ne veut pas dire qu’elle se trouve au début et qu’après elle est oubliée ou remplacée par d’autres contenus qui la dépassent. Elle est première au sens qualitatif, parce qu’elle est l’annonce principale, celle que l’on doit toujours écouter de nouveau de différentes façons et que l’on doit toujours annoncer de nouveau durant la catéchèse sous une forme ou une autre, à toutes ses étapes et ses moments.[126] Pour cela aussi « le prêtre, comme l’Église, doit prendre de plus en plus conscience du besoin permanent qu’il a d’être évangélisé ».[127]

165. On ne doit pas penser que dans la catéchèse le kérygme soit abandonné en faveur d’une formation qui prétendrait être plus “solide”. Il n’y a rien de plus solide, de plus profond, de plus sûr, de plus consistant et de plus sage que cette annonce. Toute la formation chrétienne est avant tout l’approfondissement du kérygme qui se fait chair toujours plus et toujours mieux, qui n’omet jamais d’éclairer l’engagement catéchétique, et qui permet de comprendre convenablement la signification de n’importe quel thème que l’on développe dans la catéchèse. C’est l’annonce qui correspond à la soif d’infini présente dans chaque cœur humain. La centralité du kérygme demande certaines caractéristiques de l’annonce qui aujourd’hui sont nécessaires en tout lieu : qu’elle exprime l’amour salvifique de Dieu préalable à l’obligation morale et religieuse, qu’elle n’impose pas la vérité et qu’elle fasse appel à la liberté, qu’elle possède certaines notes de joie, d’encouragement, de vitalité, et une harmonieuse synthèse qui ne réduise pas la prédication à quelques doctrines parfois plus philosophiques qu’évangéliques. Cela exige de l’évangélisateur des dispositions qui aident à mieux accueillir l’annonce : proximité, ouverture au dialogue, patience, accueil cordial qui ne condamne pas.

166. Une autre caractéristique de la catéchèse, qui s’est développée ces dernières années est celle de l’initiation mystagogique,[128] qui signifie essentiellement deux choses : la progressivité nécessaire de l’expérience de formation dans laquelle toute la communauté intervient et une valorisation renouvelée des signes liturgiques de l’initiation chrétienne. De nombreux manuels et beaucoup de programmes ne se sont pas encore laissés interpeller par la nécessité d’un renouvellement mystagogique, qui pourrait assumer des formes très diverses en accord avec le discernement de chaque communauté éducative. La rencontre catéchétique est une annonce de la Parole et est centrée sur elle, mais elle a toujours besoin d’un environnement adapté et d’une motivation attirante, de l’usage de symboles parlants, de l’insertion dans un vaste processus de croissance et de l’intégration de toutes les dimensions de la personne dans un cheminement communautaire d’écoute et de réponse.

167. Il est bien que chaque catéchèse prête une attention spéciale à la “voie de la beauté” (via pulchritudinis).[129] Annoncer le Christ signifie montrer que croire en Lui et le suivre n’est pas seulement quelque chose de vrai et de juste, mais aussi quelque chose de beau, capable de combler la vie d’une splendeur nouvelle et d’une joie profonde, même dans les épreuves. Dans cette perspective, toutes les expressions d’authentique beauté peuvent être reconnues comme un sentier qui aide à rencontrer le Seigneur Jésus. Il ne s’agit pas d’encourager un relativisme esthétique,[130] qui puisse obscurcir le lien inséparable entre vérité, bonté et beauté, mais de récupérer l’estime de la beauté pour pouvoir atteindre le cœur humain et faire resplendir en lui la vérité et la bonté du Ressuscité. Si, comme affirme saint Augustin, nous n’aimons que ce qui est beau,[131] le Fils fait homme, révélation de la beauté infinie, est extrêmement aimable, et il nous attire à lui par des liens d’amour. Il est donc nécessaire que la formation à la via pulchritudinis soit insérée dans la transmission de la foi. Il est souhaitable que chaque Église particulière promeuve l’utilisation des arts dans son œuvre d’évangélisation, en continuité avec la richesse du passé, mais aussi dans l’étendue de ses multiples expressions actuelles, dans le but de transmettre la foi dans un nouveau “langage parabolique”.[132] Il faut avoir le courage de trouver les nouveaux signes, les nouveaux symboles, une nouvelle chair pour la transmission de la Parole, diverses formes de beauté qui se manifestent dans les milieux culturels variés, y compris ces modalités non conventionnelles de beauté, qui peuvent être peu significatives pour les évangélisateurs, mais qui sont devenues particulièrement attirantes pour les autres.

168. Pour ce qui concerne la proposition morale de la catéchèse, qui invite à grandir dans la fidélité au style de vie de l’Évangile, il est opportun d’indiquer toujours le bien désirable, la proposition de vie, de maturité, de réalisation, de fécondité, à la lumière de laquelle on peut comprendre notre dénonciation des maux qui peuvent l’obscurcir. Plus que comme experts en diagnostics apocalyptiques ou jugements obscurs qui se complaisent à identifier chaque danger ou déviation, il est bien qu’on puisse nous regarder comme de joyeux messagers de propositions élevées, gardiens du bien et de la beauté qui resplendissent dans une vie fidèle à l’Évangile.

L’accompagnement personnel des processus de croissance

169. Dans une civilisation paradoxalement blessée par l’anonymat et, en même temps, obsédée par les détails de la vie des autres, malade de curiosité morbide, l’Église a besoin d’un regard de proximité pour contempler, s’émouvoir et s’arrêter devant l’autre chaque fois que cela est nécessaire. En ce monde, les ministres ordonnés et les autres agents pastoraux peuvent rendre présent le parfum de la présence proche de Jésus et son regard personnel. L’Église devra initier ses membres – prêtres, personnes consacrées et laïcs – à cet “art de l’accompagnement”, pour que tous apprennent toujours à ôter leurs sandales devant la terre sacrée de l’autre (cf. Ex 3, 5). Nous devons donner à notre chemin le rythme salutaire de la proximité, avec un regard respectueux et plein de compassion mais qui en même temps guérit, libère et encourage à mûrir dans la vie chrétienne.

170. Bien que cela semble évident, l’accompagnement spirituel doit conduire toujours plus vers Dieu, en qui nous pouvons atteindre la vraie liberté. Certains se croient libres lorsqu’ils marchent à l’écart du Seigneur, sans s’apercevoir qu’ils restent existentiellement orphelins, sans un abri, sans une demeure où revenir toujours. Ils cessent d’être pèlerins et se transforment en errants, qui tournent toujours autour d’eux-mêmes sans arriver nulle part. L’accompagnement serait contreproductif s’il devenait une sorte de thérapie qui renforce cette fermeture des personnes dans leur immanence, et cesse d’être un pèlerinage avec le Christ vers le Père.

171. Plus que jamais, nous avons besoin d’hommes et de femmes qui, à partir de leur expérience d’accompagnement, connaissent la manière de procéder, où ressortent la prudence, la capacité de compréhension, l’art d’attendre, la docilité à l’Esprit, pour protéger tous ensemble les brebis qui se confient à nous, des loups qui tentent de disperser le troupeau. Nous avons besoin de nous exercer à l’art de l’écoute, qui est plus que le fait d’entendre. Dans la communication avec l’autre, la première chose est la capacité du cœur qui rend possible la proximité, sans laquelle il n’existe pas une véritable rencontre spirituelle. L’écoute nous aide à découvrir le geste et la parole opportune qui nous secouent de la tranquille condition de spectateurs. C’est seulement à partir de cette écoute respectueuse et capable de compatir qu’on peut trouver les chemins pour une croissance authentique, qu’on peut réveiller le désir de l’idéal chrétien, l’impatience de répondre pleinement à l’amour de Dieu et la soif de développer le meilleur de ce que Dieu a semé dans sa propre vie. Toujours cependant avec la patience de celui qui connaît ce qu’enseignait saint Thomas : quelqu’un peut avoir la grâce et la charité, mais ne bien exercer aucune des vertus « à cause de certaines inclinations contraires » qui persistent.[133] En d’autres termes, le caractère organique des vertus se donne toujours et nécessairement “in habitu”, bien que les conditionnements puissent rendre difficiles les mises en œuvre de ces habitudes vertueuses. De là la nécessité d’« une pédagogie qui introduise les personnes, pas à pas, à la pleine appropriation du mystère ».[134] Pour atteindre ce point de maturité, c’est-à-dire pour que les personnes soient capables de décisions vraiment libres et responsables, il est indispensable de donner du temps, avec une immense patience. Comme disait le bienheureux Pierre Fabre : « Le temps est le messager de Dieu ».

172. Celui qui accompagne sait reconnaître que la situation de chaque sujet devant Dieu et sa vie de grâce est un mystère que personne ne peut connaître pleinement de l’extérieur. L’Évangile nous propose de corriger et d’aider à grandir une personne à partir de la reconnaissance du caractère objectivement mauvais de ses actions (cf. Mt 18, 15), mais sans émettre des jugements sur sa responsabilité et sur sa culpabilité (cf. Mt 7, 1 ; Lc 6, 37). Dans tous les cas, un bon accompagnateur ne cède ni au fatalisme ni à la pusillanimité. Il invite toujours à vouloir se soigner, à se relever, à embrasser la croix, à tout laisser, à sortir toujours de nouveau pour annoncer l’Évangile. L’expérience personnelle de nous laisser accompagner et soigner, réussissant à exprimer en toute sincérité notre vie devant celui qui nous accompagne, nous enseigne à être patients et compréhensifs avec les autres, et nous met en mesure de trouver les façons de réveiller en eux la confiance, l’ouverture et la disposition à grandir.

173. L’accompagnement spirituel authentique commence toujours et progresse dans le domaine du service de la mission évangélisatrice. La relation de Paul avec Timothée et Tite est un exemple de cet accompagnement et de cette formation durant l’action apostolique. En leur confiant la mission de s’arrêter dans chaque ville pour « y achever l’organisation » (Tt 1, 5 ; cf. 1 Tm 1, 3-5), il leur donne des critères pour la vie personnelle et pour l’action pastorale. Tout cela se différencie clairement d’un type quelconque d’accompagnement intimiste, d’autoréalisation isolée. Les disciples missionnaires accompagnent les disciples missionnaires.

Au sujet de la Parole de Dieu

174. Ce n’est pas seulement l’homélie qui doit se nourrir de la Parole de Dieu. Toute l’évangélisation est fondée sur elle, écoutée, méditée, vécue, célébrée et témoignée. La Sainte Écriture est source de l’évangélisation. Par conséquent, il faut se former continuellement à l’écoute de la Parole. L’Église n’évangélise pas si elle ne se laisse pas continuellement évangéliser. Il est indispensable que la Parole de Dieu « devienne toujours plus le cœur de toute activité ecclésiale ».[135] La Parole de Dieu écoutée et célébrée, surtout dans l’Eucharistie, alimente et fortifie intérieurement les chrétiens et les rend capables d’un authentique témoignage évangélique dans la vie quotidienne. Nous avons désormais dépassé cette ancienne opposition entre Parole et Sacrement. La Parole proclamée, vivante et efficace, prépare à la réception du sacrement et dans le sacrement cette Parole atteint son efficacité maximale.

175. L’étude de la Sainte Écriture doit être une porte ouverte à tous les croyants.[136] Il est fondamental que la Parole révélée féconde radicalement la catéchèse et tous les efforts pour transmettre la foi.[137] L’évangélisation demande la familiarité avec la Parole de Dieu et cela exige que les diocèses, les paroisses et tous les groupements catholiques proposent une étude sérieuse et persévérante de la Bible, comme aussi en promeuvent la lecture orante personnelle et communautaire.[138] Nous ne cherchons pas à tâtons dans l’obscurité, nous ne devons pas non plus attendre que Dieu nous adresse la parole, parce que réellement « Dieu a parlé, il n’est plus le grand inconnu mais il s’est montré lui-même ».[139] Accueillons le sublime trésor de la Parole révélée.

 

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Article publié par Liturgie Service • Publié le Lundi 29 septembre 2014 • 4414 visites

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